Dans les coulisses de la création du gin français Melifera
À LA RENCONTRE DE CHRISTOPHE AMIGORENA, FONDATEUR & CEO DE MELIFERA
Par Laurence Froger
En novembre 2019, Christophe Amigorena décide avec trois associés de créer Melifera, un gin bio français distillé à la fleur d’immortelle en Charente-Maritime. Parce que son parcours professionnel, riche d’expériences aux côtés de grandes entreprises internationales et de start-ups fourmillant d’idées, lui souffle que c’est le bon moment. Parce qu’une émotion le conduit inévitablement vers cette création. Récit d’une incroyable aventure, conté par un homme passionné, engagé, inspirant.
LF. Tout a commencé avec…
CA. Une émotion. Une émotion ancrée dans des souvenirs qui, à travers un texte fondateur, racontent une idée du bonheur et une fleur, l’immortelle. Ce texte, écrit un soir avec mon épouse, nous a permis de poser des mots sur nos inspirations, nos envies, le sens que nous souhaitions donner à notre démarche, notre conscience environnementale.
« Je me souviens de mes retours de plage,
Les dunes…
Les odeurs qui remontent… ces fleurs…
Ce jaune… pour moi, c’était de l’or.
Je me souviens les rires, je me souviens les amis,
Je me souviens les vagues, leur force, leur caractère,
Je me souviens la lumière.
Et cette fleur…
Immortelle. »
Ce petit extrait concentre ce qui, pour moi, est l’essence même de la création. La création d’une marque, c’est l’expression d’une émotion. Tout au long de mon parcours professionnel, chaque expérience a développé chez moi, de manière un peu innée, un côté entrepreneurial et mis en exergue l’envie de créer.
C.A ©Melifera
Je voulais une expérience où, tous les matins, je me lève avec l’envie d’avancer, de partager, sans barrières. Partir d’une feuille blanche et être maître de mon destin, en m’entourant de gens bienveillants, partageant ma vision.
LF. Comment passe-t-on de l’émotion à l’idée de créer ce gin bio 100 % français, charentais même, distillé aux fleurs d’immortelle ?
CA. L’immortelle est un véritable déclencheur d’émotions. Avec son parfum épicé, floral, cette fleur, même quand on ne la connaît pas, agit comme une empreinte que l’on garde en mémoire. Elle a ce pouvoir de faire resurgir des souvenirs heureux, de vacances, de soleil, de rires. C’est vraiment l’effet qu’elle a sur nos clients. Pour ma part, l’Ile d’Oléron, avec ces moments partagés en famille et entre amis, au cœur des dunes, avec la mer et le phare de Chassiron en ligne de mire, a servi de catalyseur. Lors de mon expérience chez l’Occitane, j’avais également découvert la richesse des vertus de l’immortelle. J’ai commencé à cerner ce que je pouvais faire avec cette fleur, à cheminer vers une idée. L’univers des spiritueux ? Une évidence pour quelqu’un comme moi, qui a grandi à Cognac, aime la bonne cuisine et les bons vins… Et puis, personne n’avait encore eu l’idée d’utiliser cette botanique pour faire un spiritueux.
LF. Pourquoi avoir créé un gin plutôt qu’un autre spiritueux ?
CA. Nous avons décidé de commencer avec le gin. C’est un marché assez dynamique, toujours en forte croissance depuis une dizaine d’année, avec de belles opportunités. L’idée était de viser l’excellence au travers de la création de la marque, de la bouteille, d’un jus innovant autour d’un ingrédient jamais utilisé jusqu’à maintenant. Si aujourd’hui, nous concentrons toute notre énergie autour de notre gin, nous ne nous interdisons pas d’imaginer et de créer ensuite d’autres spiritueux.
LF. Une île, une fleur, une légende… Avec Melifera, vous embarquez les consommateurs dans un univers très singulier.
CA. Dans un univers de légende. Avec cette fleur, témoin silencieux et immortel de tout ce qui a pu se passer sur cette île, nous avons voulu donner un côté un peu mystique à la marque, raconter une légende. Celle d’Aliénor d’Aquitaine et de sa couronne d’immortelle.
LF. La naissance d’un spiritueux s’accompagne toujours de la création de sa bouteille. Que raconte celle de Melifera ?
CA. Notre bouteille raconte toute la légende d’Alienor d’Aquitaine qui épousa en secondes noces Henri Plantagenêt, futur roi d’Angleterre. 1152 est la date de cette union, scellée par le don de l’Ile en dote. La légende dit qu’Aliénor aurait tressé sa couronne de mariage de fleurs d’immortelles afin de garantir richesse spirituelle et fécondité de son union, comme le faisaient les vierges celtes.
Les designers avec lesquels nous avons travaillé ont su à capturer l’essence de cette histoire et l’ont retranscrite dans un flacon unique reprenant les codes du luxe et de la parfumerie.
LF. Melifera, pourquoi ce choix ?
CA. Ce qui nous anime, c’est de donner du sens à tout ce que l’on fait, à chaque étape du projet. Rester dans l’authenticité, en alignant toutes les valeurs qui nous tiennent à cœur avec l’histoire de l’île d’Oléron, de l’immortelle. Parmi ces valeurs, il y a la protection de la biodiversité et, évidemment, de l’abeille et son lien assez logique avec les fleurs et leur pollinisation. Nous avions envie de rendre hommage à une espèce domestique, l’abeille noire, autrement appelée « apis mellifera mellifera ». Melifera est né.
LF. Être une marque engagée, c’est une priorité ?
CA. Plus encore. Nous assumons totalement notre conscience environnementale. Parallèlement à la préservation des abeilles, la protection du littoral nous tient à cœur. Plusieurs projets sont en réflexion, avec notamment l’ONF.
Un autre engagement nous est cher : celui de l’ancrage local. Nous avons planté nos propres champs de fleurs d’immortelle bio à Oléron. Nous souhaitons aussi planter de nouvelles essences et engager les maraichers qui nous ont fait confiance il y a deux ans dans l’aventure Melifera. C’est une vraie dynamique globale et positive qui pour nous fait sens.
LF. Racontez-nous les coulisses de l’élaboration de ce gin premium bio ?
CA. L’idée pour le produit était de retrouver les sensations olfactives que j’avais enfant, quand je remontais de la plage en fin de journée. Je voulais que notre gin reproduise exactement cette remontée de dunes. Un parfum un peu iodé, un peu épicé, très floral, des odeurs de pins… Avec notre associé distillateur, nous avons poussé la fleur d’immortelle pour que ce soit la note dominante. C’était un pari, mais nous sommes ravis du résultat. Melifera possède une vraie signature olfactive, liée à l’immortelle, qui fait toute la différence et qui nous a permis, malgré un lancement en plein COVID, de trouver notre marché, de séduire les cavistes et restaurants étoilés. Autre impératif dans le cahier des charges : fabriquer un gin bio, ce que notre distillateur et partenaire sait parfaitement faire depuis des années.
LF. Faites-nous rêver avant de goûter ! Qu’allons-nous découvrir lors de la dégustation de Melifera ?
CA. C’est un produit très équilibré. La note de tête est très florale, très différente de ce que l’on a l’habitude de sentir sur un gin. Mais une fois en bouche, il était important pour nous que les amateurs se retrouvent dans ce produit. C’est vraiment un gin classique, même si, en fin de bouche, il y a cette note d’immortelle qui vient titiller les papilles. On peut avoir un nez très différenciant mais rester sur un produit traditionnel. Ce Gin est fait à base de grains qui lui donnent beaucoup de rondeur. Une légère sucrosité est perceptible. On est effectivement sur le genévrier avec une belle longueur en bouche pour arriver, au final, à ce petit kick typique de la fleur d’immortelle, qui revient sur le palais de façon très agréable et interroge sur la complexité du produit. Et qui donne l’envie de se resservir !
LF. Le positionnement de Melifera, plutôt gin premium ou gin élaboré en Charente-Maritime ?
CA. Gin bio avant tout, et j’insiste sur la préservation de la biodiversité. C’est un gin français premium bien sûr, mais lors d’une dégustation, je n’ai pas besoin de le dire. Quand on voit la bouteille, que l’on sent le produit, on est déjà dans un univers premium.
La dégustation commence avec l’aspect visuel du produit et sa couleur d’un jaune très léger, un peu teinté. On passe ensuite à la première note florale. Les gens sont très surpris, ils ont presque l’impression de sentir un parfum, ce qui les plonge très vite dans les codes du luxe. Viennent ensuite les commentaires. « Je ne suis pas très gin d’habitude, mais là j’arrive bien à le boire ». « C’est très fin, très élégant ». « Je peux le boire sans glaçons, ce qui est assez rare. » Sur des centaines et des centaines de dégustations, j’ai eu seulement une personne qui n’a pas adhéré. Melifera réconcilie beaucoup de monde avec le gin.
LF. Public féminin ou masculin, notez-vous une différence ?
CA. Les femmes sont plus sensibles, je pense, à tout le travail fait autour de la marque, au design, au positionnement. Les hommes vont plus rapidement juger le jus alors que les femmes, qui ont souvent un imaginaire plus riche, entrent très vite dans l’univers avec le flacon, l’histoire. Elles sont donc à un stade plus avancé quand elles débutent la dégustation.
LF. Après moins d’un an d’existence, qu’est-ce qui vous rend le plus fier ?
CA. Au-delà du lancement d’un gin, c’est d’avoir créé une marque. Une marque engagée, avec un univers qui lui est propre.
Avoir réussi à embarquer des hommes, des femmes dans cette aventure, à tisser des liens forts avec des partenaires, à mettre en avant le territoire et sa protection, à créer des emplois, partager une aventure humaine. C’est très positif.
Je suis fier également que Melifera soit référencé dans de très belles enseignes aux côtés de marques internationales. Fier de susciter un réel intérêt auprès des importateurs au Japon, en Angleterre, où le marché est très concurrentiel. Fier de constater qu’il y a 8 mois, Melifera n’existait pas et qu’aujourd’hui, nous avons de la visibilité, de la presse, nous avons réussi à lever des fonds et commencé à être écoutés à l’international. C’est valorisant et très encourageant, même si la route est encore longue.